Le pays aux deux visages
Cela fait déjà deux ans que j'y travaille en qualité de Directeur des programmes de Handicap International Belgique. L'ONG (placée sous le haut patronage de notre Princesse Mathilde) est célèbre pour le combat qu'elle mène contre les mines antipersonnel et dont les lacets bleus sont devenus le symbole.
Cette expérience est enrichissante à plus d'un titre. Humainement avant tout. La qualité des relations humaines est unique. En Colombie, on valorise le respect et la tolérance. Je me suis vraiment senti accueilli dès le premier jour par les partenaires locaux. Les contacts sont aussi très spontanés. Dans les bus et les endroits publics, il n'est pas rare d'entamer des conversations ponctuées d'un sourire, d'une tape amicale. En toute simplicité.
Professionnellement, l'expérience est formidable également. Nous soutenons une Fondation qui preste des services de réadaptation à des personnes handicapées. Services de kiné, logopédie, ergothérapie mais aussi services orthopé-diques pour des personnes amputées. Nous avons développé l'atelier orthopédique de la Fondation REI. Formation des trois techniciens locaux, appui logistique, renforcement des structures de gestions administratives et financières. En trois ans, nous avons fabriqué près de 300 prothèses. Et pourtant les besoins sont encore énormes.
Parallèlement, nous développons aussi dans 12 quartiers de la ville un programme de Réadaptation à Base Commu-nautaire (RBC). Il consiste à sensibiliser les communautés au handicap, intégrer les personnes handicapées dans la vie communautaire et évidemment prendre en charge les patients. Dans ces quartiers marginalisés où la violence (gangs armés de délinquants), la pauvreté, la drogue sont le pain quotidien des Cartagenois, la personne handicapée est souvent rejetée. Par peur ou par méconnaissance de son handicap. On dit même que le handicap est le résultat d'un mauvais sort jeté par des esprits maléfiques. Nous avons sensibilisé des leaders communautaires (personnes qui se démènent pour améliorer les conditions de vie des quartiers), formé des mères de famille à mieux s'occuper de leurs enfants handicapés et pris en charge les patients à leur domicile. La plupart des gens ne peuvent pas se payer un bus (0.25 euros) pour se rendre aux consultations de centres spécialisés ou pour une simple visite médicale. Nous travaillons donc, en plein ¼ monde, afin que la communauté se prenne en charge de manière autonome.
En 2003, nous espérons aussi débuter un nouveau programme en faveur des déplacés internes colombiens victimes du conflit à Medellin et Cartagena. Chaque jour 1000 colombiens quittent leur village pour fuir les combats san-glants. Rien que sur Cartagena, 50 déplacés arrivent quotidiennement.
Ceci étant, Cartagena est une ville splendide. Classée Patrimoine universel par l'UNESCO, elle offre en plein cœur des ruelles étroites et des maisons coloniales superbes. Si on ajoute au panorama la mer des Caraïbes et les 30 degrés permanents tout au long de l'année, avouez que cela n'est pas désagréable. Mais c'est aussi une prison dorée car aux portes de la ville se trouvent les paramilitaires qui empêchent les habitants de sortir à plus de 20kms. Un autre con-traste qui confirme la dure réalité colombienne.
Le soir, quand je me promène dans le centre….ou quand je rentre d'une soirée arrosée et rythmée au son de la salsa, je rencontre toujours les enfants des rues. Ils sont nombreux. On se connaît bien à présent. Ils viennent de l'intérieur du pays, de Medellin surtout. Ils ont fui leurs parents violents, alcooliques. Ils errent sans chaussure, vêtus de T-shirts sales, de pantalons ou shorts trop grands pour leur taille de gosse. Au début, ils profitaient de ma naïveté. J'ai tou-jours refusé de leur donner un seul sou. Car ils utilisent l'argent pour acheter de la drogue (marihuana ou de la colle qu'ils chauffent et inhalent). Mais j'acceptais de leur offrir à manger. Aussitôt en possession de leur hamburger, ils filaient sans un merci pour revendre leur " trésor". Bien vite, j'ai repéré le manège. Depuis lors, ils mangent devant moi. Ce sont des moments forts. La confiance qui s'est installée entre nous leur permet de raconter chaque fois une nouvelle tranche de leur vie misérable. On relativise tellement de choses à leur écoute.
Voilà quelques images de ma vie colombienne. J'espère qu'elles vous auront permis d'imaginer un autre univers quelques instants. Aujourd'hui, 15 septembre 2002, je me rends compte que c'est le fameux WE des " Wallonies "… Je boirai donc le peket local (du rhum…) à la santé de tous mes amis malonnois.
Portez-vous bien.
Hasta luego !

Dominique Delvigne
delvigned@hotmail.com